GENÈVE/Art en Vieille Ville a réussi son grand ménage de printemps
GENÈVE/Art en Vieille Ville a réussi son grand ménage de printemps
Il existe paraît-il de «bons jours». Mieux vaut les éviter. Ce sont ceux où tout a lieu en même temps. Au théâtre, ce fut longtemps le mardi. Les grands concerts s’entendaient naguère le mercredi. Les vernissages se déroulent en général le jeudi. Au même titre que la Migros ou la Coop, ces commerçant que restent malgré tout les galeristes ont ce soir-là quartier libre. Pas besoin d’obtenir une dérogation horaire. D’où cette propension à organiser le jeudi leurs inaugurations. Pensez à Quartier des Bains. Songez à Art en Vieille Ville. Et dites vous bien que tout le monde les suit, comme des moutons de Panurge. Le 18 mai, ce sera de la folie, vu que le Christ a eu l’idée de monter au Ciel un jeudi de l’Ascension. Ce soir-là (le 25 donc), il n’y aura que Sébastien Bertrand, un mécréant apparemment, pour proposer à ses clients en primeur un nouvel accrochage.
Jeudi 11 mai, c’était le soir d’Art en Vieille Ville. J’avoue que je n’étais pas là à m’abriter de la pluie chez Marie-Laure Rondeau de Grand-Rue (chez qui dominent les lithographies coloriées de David Roberts, à sujets égyptiens) ou chez Anton Meier, qui montre les variations sur des tableaux connus de la Genevoise Tito Honegger. On ne peut pas se répandre partout. Mais je vous rappelle que l’Association ne donne pas tort aux absents. Elle organise une séance de rattrapage le samedi. Au calme. Avec les risques que cela suppose aussi. Si par bonheur (ou par malheur) vous connaissez les galeristes, vous ne vous en tirerez pas comme ça. Il vous faudra voir chaque uvre, que l’on va décortiquer à votre intention. Autant dire que la journée sera occupée.
Une excellente cuvée
Art en Vieille Ville s’est donné beaucoup de peine, cette fois, afin de combattre contre ce qu’on appelle depuis bien des années «la morosité». Ce n’est plus la Crise avec un «C» majuscule. Il s’agit de l’impression insidieuse qu’un métier va sur sa fin. Le commerce d’art subit une mue rapide. De moins en moins de gens fréquentent les galeries. Ce public vieillit. La chose se situe désormais dans un contexte de disparition accélérée des magasins. On ne compte plus les arcades à louer. Certains espaces sont vides depuis longtemps. Des vitres crasseuses dénoncent des établissements fantômes, comme l’Asia-Africa Museum de la Grand-Rue. Certaines boutiques se disent pudiquement «à remettre» dans la même artère. Il y a parfois d’étranges nouveaux occupants. Un brocanteur s’est établi dans la (jusqu’ici) huppée Corraterie. Il m’a semblé que ce monsieur dormait la nuit sur la mezzanine de son nouveau logis, caché par une couverture… Mais après tout, dans un autre genre, le Musée Rath de la place Neuve a bien fermé ses portes (municipales) lui aussi.
Mais revenons à Art en Vieille Ville, ou AVV de son petit nom. Je n’ai pas tout vu, mais il y a de bonnes choses. Bailly a sorti pour l’occasion ses poids lourds. Du classique. Il y a un Matisse de 1910 et un Kirchner vraiment magnifique de 1911. Il s’agit d’une sélection sage, certes, mais d’un haut niveau et avec des garanties. Pas de toile, ou presque, sans son certificat récent d’expert. On reste dans le solide chez Grob. Le thème-bateau des «Nudes» (pourquoi le mot est-il en anglais, au fait?) couvre un mélange de photos célèbres en tirages anciens (Kertesz, Ronis, Doisneau…) ponctué de quelques tableaux, dont un beau Raoul Dufy de 1930.
Les affiches de Villeglé
Un peu plus loin, Sonia Zannettacci reste dans le contemporain, avec ses «nouveaux réalistes» vieillissant de douze mois chaque année. Ses cimaises se voient aujourd’hui réservées à Jacques Villeglé, né en 1926. L’homme demeure un des spécialistes français des affiches arrachées, dont la galeriste présente une sélection importante allant de la fin des années 50 à l’élection de François Mitterrand en 1981. L’exposition s’intitule en effet, avec à-propos, «Aux urnes Citoyens». ll y a aussi là de petits assemblages, réalisés en 2016. Villeglé décolle dans la rue des «stickers», qu’il assemble en indiquant le lieu de leur trouvaille. Son périmètre se révèle très second arrondissement, rue Tiquetonne ou rue Etienne-Marcel.
Rosa Turetsky propose Yves Dana qui, à force d’être jeune, atteint tout de même 57 ans. On a connu ce Suisse d’Alexandrie chez Krugier, chez Ditesheim ou à Lausanne chez Alice Pauli. Le revoici avec des bronzes et de la pierre si polie qu’elle finit par ressembler à du métal. Rosa n’a pas hésité à faire descendre une pièce de passé 300 kilos dans sa cave, pour faire plus joli. Je rappelle qu’il s’agit là d’un art abstrait, au classicisme parfois un peu trop bien élevé. La galeriste en a choisi d’Yves des pièces plus brutes de coffrage, auxquelles ce décor souterrain donne un petit air archéologique.
Dans le noir
Juste en face, Schifferli nous rappelle que «le noir est une couleur», ce dont je n’ai jamais douté. La plus petites des galeries genevoises montre des encres d’Antonio Saura, de Veira da Silva, de Bram van Velde (dont l’une provient de chez les Pompidou) ou d’Henri Michaux, ce dernier étant représenté par une pièce de dimensions imposantes. Il y a aussi un étonnant Zoran Music de sa période abstraite. Des terres dalmates. C’est très raffiné, comme la brochure d’accompagnement, éditée comme il se doit sur les presses locales de Noir sur Noir.
Je terminerai avec mon passage chez Phoenix Ancient Art. La maison se penche cette fois sur les bijoux antiques. Un énorme agrandissement cache en partie la vitrine, laissant apparaître le somptueux bracelet romain en or original. A l’intérieur, c’est une pluie de chefs-d’uvre, parfois déjà vus ici comme la bague égyptienne en cristal de roche surmontée d’un minuscule sphinx. Il y a là des parures grecques et étrusques (avec le fameux granulé). Un masque d’or moyen oriental du premier millénaire avant Jésus-Christ. De l’orfèvrerie sassanide. Une Cybèle taillée danss de la pierre dure. Des rythons (vases à boire) d’argent en forme de sangliers. Tout se situe vraiment au plus haut niveau, y compris celui des prix. Une petite section s’adresse tout de même à une clientèle moins fortunée. Mais le plaisir n’est-il pas finalement de voir?
P.S. Il me faut aussi signaler les affiches de 1968 que propose Patrick Peloso, rue Calvin, dans sa Galerie Angle. Dues aux meilleurs graphistes, les plus modernes, elles devaient redorer l’image de la ville. Les neuf modèles connus sont là. Vendus avant même l’ouverture.
Pratique
Pour les adresses, les numéros de téléphone ou les horaires, tapez www.avv.ch Tout y figure.
Photo (Phoenix Ancient Art): La bague au sphinx proposée rue Verdaine par Phoenix Ancient Art.