La Biennale des Antiquaires se tient au Grand Palais parisien. Il y a du bon et du moins bon.

La Biennale des Antiquaires se tient au Grand Palais parisien. Il y a du bon et du moins bon.

Est-ce ou non la dernière? La Biennale des Antiquaires de Paris joue depuis longtemps les acrobates. Elle paraît suspendue à un fil. Le Syndicat National des Antiquaires, son patron, a réalisé ses biens («vendu» paraîtrait ici un gros mot), ce qui paraît mauvais signe. Il y a cependant davantage de participants qu’à la catastrophique édition de 2018, où ils étaient 61 à flotter au milieu de l’immense nef du Grand Palais. «Nous avons passé le creux de la vague», déclare Alexis Bordes, qui expose de la peinture ancienne. «Cette fois, nous sommes tout de même 75.» Reste que ce chiffre demeure misérable par rapport aux 280 stands de la TEFAF de Maastricht. Surtout quand l’entrée coûte 35 euros par tête de pipe…

A propos d’entrée, tout commence ici par un jeu de chicanes. Alors que des cars de CRS stationnent de manière permanente en face, vu la proximité de l’Elysée, il y a des barrière partout. C’est comme si les visiteurs allaient accéder au G8. Le premier jour de la foire, qui n’en dure désormais plus que cinq, il n’y avait pourtant pas un chat. «La faute à la grève du métro», expliquaient en chœur les participants. La veille, selon les trompettes entonnées par le service de presse, dix mille personnes auraient assisté au vernissage. Cela me semble beaucoup. C’est le chiffre réalisé par la TEFAF sur deux jours d’inaugurations diverses dans un lieu immense. Reste que sur les photos, généreusement envoyées par courriel, on voit effectivement le ministre de la Culture Franck Riester, comme les très mondains Bernard-Henri Lévy et son épouse Arielle Dombasle. Deux solides antiquités. Et la veille, s’était bien sûr déjà déroulé le dîner de gala. Au profit du patrimoine de Mossoul, cette fois, même si les campagnes françaises me semblent presque autant en péril. 650 euros par personne tout près de l’avenue favorite des «gilets jaunes». J’ai nommé les Champs-Elysées.

Un décor modeste

Une fois à l’intérieur, le public découvre jusqu’au 17 septembre le décor. Oh! Ce ne sont plus années fastes. Je me rappelle celui de 1992. où Pier Luigi Pizzi avait installé une scintillante colonnade blanche. Ou celui de 2012, par dessus laquelle Karl Lagerfeld avait lâché un ballon captif. La Biennale n’était pas encore annuelle à l’époque. Une drôle d’idée, soit dit entre nous.. Cette fois, Vincent Darré propose un machin verdâtre, avec au centre un truc vaguement surréalisant, qu’on aura la charité de vite oublier. L’œil avise au fond un Pavillon du Bahreïn, que j’espère au moins lucratif pour les organisateurs. Plus une installation du Vénézuélien Carlos Cruz Diez, récemment décédé. Pas de ça, j’espère. D’autant plus que sa chose se voit mal, voilée si j’ose dire par le Bahreïn. Aucun bijoutier. «Le temps du bling-bling est passé», déclare le président Mathias Ary Jahn. Un monsieur présentant de la peinture du XIXe siècle pourtant assez tapageuse (avec cette année deux beaux Mossa symbolistes).

Que dire du reste? Que les deux tiers au moins des exposants sont français. La chose me semble fâcheuse pour le renom international d’une manifestation créée en 1962. Que cette édition manque de grands marchands. Je veux bien que la profession passe pour sinistrée, mais tout de même! Il n’y a plus les Vallois pour l’Art Déco. Les Canesso, spécialistes de la peinture italienne, ont préféré la Biennale de Florence prévue pour le 21 septembre. Les Perrin, qui font encore du meuble, brillent par leur absence. Christian Deydier, Monsieur Chine, est parti fâché, pour ne pas dire davantage. Neuse, de Brême, a préféré s’installer chez un confrère près de l’Elysée. Je vous en parle dans un autre article. D’autres se réservent enfin pour Paris Fine Art, la foire parisienne montante. Elle se déroulera au Carrousel du Louvre dès le 13 novembre. J’ai en revanche été étonné de voir un énorme stand de l’Hôtel Drouot. L’ennemi mortel. Les enchères. «Nous montrons des objets qui seront dispersés cet automne», explique la personne de piquet, «mais on nous a demandé de ne pas indiquer les prix d’estimation sur les cartels.» Il faut donc les demander à la dame..,.

L’archéologie chez Phoenix

Alors, qui est venu, à part Drouot? Des galeries modernes, dont inévitablement Opéra, qui occupe un espace énorme. Un librairie ancien du calibre de Sourget. Il présente notamment l’un des plus beaux incunables allemands avec des gravures pleines pages à l’état de neuf: «Der Schatzbehalter». Kunstberatung est venu de Zurich. Sa vedette est un coffre-fort germanique de 1869, mais il y a aussi cinq Kandinsky de jeunesse. Phoenix de Genève a débarqué avec les 280 pièces archéologiques de la ravissante collection du Prix Nobel de génétique Walter Gilbert. Cet homme de 87 ans entend aujourd’hui préparer sa succession. «Nous ne présenterons pas ces œuvres rue Verdaine en raison des tracas douanier.» Dommage! Il faudra ici se contenter de l’énorme catalogue. La présentation sur deux rangs de vitrines murales continues se révèle en plus très réussie à Paris. Elle évite l’éclatement, comme le disparate, d’un ensemble très varié.

Autrement, le bon côtoie le pire dans un désordre un peu gênant. Il y a de l’affreux pseudo design contemporain. On se croirait au PAD, version Genève. Beaucoup de peintures modernes un peu mineures, avec cadres dorés, rassurent des gens déboussolés par le temps présent. Mais il y a tout de même là de jolies toiles Un Achille Laugé pointilliste m’a notamment sauté aux yeux chez Hélène Bailly. J’ai par ailleurs vu peu de meubles, à part chez un antiquaire de Versailles ayant trouvé amusant de les mettre dans un faux jardin (1). Encore moins d’art tribal, vu la tenue simultanée du Parcours des Mondes sur la Rive Gauche. Si l’Art Déco se tient chez Michel Giraud (avec un magnifique tableau d’Alfred Courmes), j’ai subi chez Jérôme Zodo une photo géante de Pamela Anderson. Presque nue. A Hollywood. Il en faut pour tous les goûts, même les pires.

Dix mètres carrés

Le plus original du salon vient de l’idée de créer dix petits stands pour les jeunes pousses. Les conditions sont simples. Il faut avoir moins de dix ans de vie commerciale. On vous donne alors le droit, si vous êtes retenu (mais cette année, la biennale a dû draguer tout azimut) d’exposer dans dix mètres carrés pour 10 000 euros. Deux Romands sont ici présents. Patrick Pouchot-Lermans est l’homme de Schifferli, Grand Rue à Genève. «Je montre treize dessins apparentés au surréalisme, allant de Dalí à Hans Bellmer en passant par Kurt Seligmann.» Le tout tient sur deux cimaises seulement, le sol étant occupé par une moquette violette pétaradante. Une élégante réussite. «Je suis très, très heureux d’être là.» Il y a aussi le jeune couple (31 ans chacun) d’Igra Lignum de Dompierre, dans le canton de Vaud. Les Bizzozero. Des gens charmants et drôles. A rebours des modes, ils se sont lancés dans le grand XVIIIe. Je vous en ferai bientôt le portrait.

P.S. Si quelque chose fait en 2019 l’unanimité, c’est le «vetting», autrement dit la commission d’experts. La vraie ayant rendu son tablier il y a quelques mois, il a fallu en improviser une autre. Celle-ci s’est montrée sévère, souvent à tort apparemment, exigeant des retraits. D’où des cris nombreux. «Et en plus, nous n’avions même pas le nom des gens qui passaient chez nous!»

Pratique

«Biennale des Antiquaires», Grand Palais, 3, avenue Général-Eisenhower, Paris, jusqu’au 17 septembre. Site www.labiennaleparis.com Ouvert de 11h à 21h, le 16 jusqu’à 23h.