GENÈVE/Mnémosyne rapproche Chirico de l’art antique chez Phoenix

C’est la fille d’Ouranos et de Gaïa, autrement dit du Ciel et de la Terre (1). Mnémosyne a donné son nom à toute chose, créant ainsi le langage. Elle reste surtout la déesse de la mémoire, maintenant de la sorte le passé un peu présent. Aimée de Zeus, ce parfait infidèle, Mnémosyne accoucha aussi des neuf Muses, dont chacune possède une spécialité. Uranie, c’est l’astronomie. Clio, l’Histoire. Thalie, la comédie. Je m’arrêterai là.

Mnémosyne chapeaute aujourd’hui la nouvelle exposition de Phoenix Ancient Art, montée cette fois en complicité avec la Helly Nahmad Gallery. L’idée de départ est simple. Il s’agit de rapprocher des objets classiques antiques, grecs ou romains, de toiles modernes. Mais pas n’importe lesquelles! Le choix est tombé sur Giorgio de Chirico (1888-1978). Un homme né à Volos et mort à Rome, ce qui jette ainsi un nouveau pont entre deux civilisations. On sait que le peintre a imaginé dès 1913 une Antiquité actualisée, créant un surréalisme humaniste. L’artiste a également anticipé un certain goût mussolinien. Mario Sironi ou Massimo Campigli ont alors beaucoup donné, avec talent, dans le «revival» antique.

Marbres, bronzes, mosaïque et vases

Il y avait vingt-deux toiles de Chirico à la version new-yorkaise de «Mnémosyne». Normal. Les Nahmad sont aujourd’hui les marchands d’art classique moderne les plus puissants du monde. Lors de l’étape parisienne, en septembre dernier, les tableaux avaient déjà fondu. Il doit en rester six ou sept pour l’actuelle présentation genevoise, dans la galerie de Phoenix de la rue Verdaine. Toutes les pièces archéologiques ne sont également plus là. Manque notamment l’étonnante «Aphrodite Nothumberland», qui a longtemps orné le palais néo-classique Syon House, tout près de Londres.

Qu’importe! Ce qui demeure est magnifique. Tout se révèle ici de premier ordre, que ce soit au rez-de-chaussée donnant sur la rue ou dans les sous-sols. La présence de Chirico modernise des marbres, des vases attiques, des statuettes en pierre semi précieuses, de petits bronzes, une mosaïque ou un extraordinaire demi masque d’or. Que retenir de ces merveilles, d’époques très différentes, qui semblent se répondre? Faut-il choisir l’énorme vase grec (plus de soixante centimètres de haut), presque intact, du VIe siècle avant Jésus-Christ attribué au peintre de Lysippides? La Cybèle en agate romaine, qui provient de plusieurs collections genevoises anciennes? Ou la tête de Sérapis évoquant une attirance précoce pour les religions orientales?

Somptueuse mise en scène

La mise en scène, dans un écrin de murs gris sombre, les éclairages, si importants pour la sculpture, ajoutent évidemment des notes positives à cet ensemble muséal. Le visiteur n’a plus qu’à se laisser guider par ses yeux. Il y a bien sûr des listes. Il existe un catalogue, dans la version new-yorkaise. Mais mieux vaut se faire séduire par des rapprochements parfois insolites. Les rapports entre les objets ne sont pas ici des mariages de raison, mais des coups de foudre.

(1) J’ai choisi la version d’Hésiode. Celle de Hygin, postérieure de près de mille ans, diffère considérablement.

Pratique

«Mnémosyne», Phoenix Ancient Art, 6, rue Verdaine, Genève, jusqu’au 31 décembre. Tél. 022 318 80 10, site www.phoenixancientart.com Ouvert du lundi au vendredi de 10h30 à 18h30.

Photo (Phoenix Ancient Art/Helly Nahmad Gallery): Une idée des rapprochements créés. La photo reflète la version new-yorkaise de “Mnémosyne”.